Deux crises qui se vivent en parallèle

LOGEMENT. Alors que la crise du logement ne fait que s’accentuer avec la hause importante des coûts, la situation des femmes qui vivent de la violence sexuelle dans ce contexte s’amplifie. L’association des locataires de Sherbrooke et le CALACS Agression Estrie unissent leurs voix pour dénoncer l’inaction des gouvernements. 

Pour bien marquer les esprits, les deux organismes tenaient une manifestation devant un bâtiment autrefois pressentit pour être converti en une trentaine de logements sociaux: l’église Sainte-Famille de la rue Papineau. Maintenant que le projet de bibliothèque à cet endroit a été écarté, on demande aux élus de réévaluer l’option de le transformer en hébergement à coûts modiques.

La porte-parole de l’Association des locataires de Sherbrooke, Noémie Saint-Pierre, s’insurge de voir les différents paliers de gouvernements se déresponsabiliser sans proposer de solutions.

« La ville continue de nous dire que ce n’est pas possible et de nous donner beaucoup d’excuses. On revendique que la marchandisation du parc locatif finisse. Nous sommes des citoyennes et nous voulons habiter notre ville en ayant un toit sur la tête », indique-t-elle.

Le désinvestissement des gouvernements dans l’élargissement du parc immobilier a laissé le monopole aux développeurs immobiliers, sans exiger qu’une partie de ces nouvelles constructions ne soit réservée au logement abordable et social. En résulte une pénurie aiguë et qui affecte les femmes de façon disproportionnée. Certaines sont même confrontées aux chois de rester et endurer, ou carrément de vivre dans la rue. 

DES HAUSSES DE LOYER DIFFICILES À SOUTENIR

Elles sont nombreuses à vivre dans la précarité financière et sont vulnérables sur différents plans; avec des salaires généralement moins élevés, une trop grande proportion est dédié au paiement du loyer. Si elles sont issues de la diversité, de la communauté LGBTQ+, qu’elles vivent avec un handicap ou qu’elles sont âgées, leurs perspectives d’avoir un lieu de résidence décent et adapté sont grandement diminuées.

Mme Saint-Pierre ajoute que pour ce qui est des femmes en situation de violence conjugale, celles-ci n’ont pas toujours les moyens financiers de quitter leur conjoint et que la rareté de la disponibilité sur le marché locatif accentue le problème. « Et ces femmes ont de grands besoins; surtout que la ministre de l’Habitation a dit l’an passé que ça coûtait trop cher de construire des maisons d’hébergement alors que ça sauve des vies. » 

SE SENTIR EN SÉCURITÉ, UN LUXE

Un phénomène méconnu et soulevé lors de la manifestation est le fait que plusieurs femmes sont victimes d’agression directement dans leur logement. Soit par des propriétaires qui « s’y invitent » sans leur consentement, soit pour pouvoir le conserver en échange de faveurs sexuelles. Des voisins vont souvent les harceler et leur faire sentir qu’elles ne sont pas en sécurité dans leur appartement. 

Bien que ses interventions se font sur plusieurs fronts, CALACS Agression Estrie a un plan d’action adressant cette problématique depuis plusieurs années. Intervenante et porte-parole à l’organisme, Kelly Laramée confirme que les occasions se font rares pour s’intégrer dans la conversation autour du sujet. « Il y a toujours eu de la violence en logement et de l’exploitation sexuelle. Ce qui est nouveau, c’est qu’avec le prix des loyers, les femmes ont nul part où aller. Les maisons d’hébergement débordent et en Estrie, on a pas de ressource en hébergement spécialisé pour les victimes d’exploitation ou de violence sexuelle », s’indigne Mme Laramée. 

PLUSIEURS OBSTACLES À SURMONTER

Tous admettent que des obstacles majeurs se dressent devant les projets de développement immobilier à Sherbrooke, tels un moratoire sur les nouvelles constructions dans plusieurs secteurs de la ville, ou l’adoption du plan Nature qui limite aussi la destruction de milieux naturels pour bâtir. Cela s’ajoute aux différents groupes de pression qui ont les mêmes demandes pour plus de logement social.

« En s’alliant à l’Association des locataires, on en parle et on essaie de montrer ce qu’on voit sur le terrain; ce que les femmes nous disent et ce qu’elles vivent. C’est vrai que tout le monde veut avoir accès au logement social, mais souvent, on n’entend pas ces femmes et on les oublies. La violence sexuelle, c’est quelque chose de caché et les victimes ne sortiront pas pour revendiquer », explique l’intervenante.

Les deux organisations s’entendent sur le fait que des critères, comme la situation sécuritaire de la personne, devraient être pris en compte lorsqu’on évalue une candidature pour accorder un logement. Elles espèrent par cette action conscientiser les décideurs à une réalité qui frappe de plus en plus les Estriennes.