Geneviève Rioux: Survivre, écrire, renaître

LITTÉRATURE. Après avoir vécu l’horreur d’une violente agression perpétrée en pleine nuit dans son logement, le processus de guérison a été long, parfois douloureux, mais riche en apprentissages pour Geneviève Rioux. L’écriture, peu importe sous quelle forme, lui a permis en quelque sorte d’exorciser son épreuve.

Attaquée dans l’intimité de son appartement une nuit d’avril 2018, la jeune femme a été laissée pour morte par son agresseur. La survivante a constaté avec stupéfaction que cet événement avait des similarités troublantes avec celui subi par sa mère, deux décennies plus tôt.

Cet épisode a laissé sa marque, autant sur le plan physique que psychique et émotionnel de la doctorante en psychologie à l’Université de Sherbrooke. Elle n’allait pas laisser sa vie être submergée par celui-ci pour autant.

Geneviève Rioux a fait le choix de raconter son histoire, non pas par sensationnalisme, mais pour partager le long chemin parcouru afin de reprendre le contrôle de sa vie. Elle l’a d’abord mis en mots avec un recueil de poésie intitulé Survivaces, dans lequel elle a effectué une réflexion sur l’impact d’un tel acte sur les victimes. Malgré les éloges et la satisfaction d’avoir vu son ouvrage être publié, Mme Rioux ressentait le besoin de creuser plus profondément le sujet.

« Au départ quand j’écrivais, c’était dans un désir d’authenticité ; je voulais raconter mon histoire. Donc je me suis mise à écrire de la poésie. Une fois que ça été fait, il y avait plein de choses que j’avais l’impression de ne pas avoir dites. La fiction me permettait donc d’explorer encore plus les zones d’ombre de mon expérience », se remémore l’autrice.

LES POSSIBILITÉS QU’OFFRENT UN ROMAN

Le temps et le recul lui ont permis de mieux saisir la portée d’un bouleversement aussi important sur la personne qui le subit, mais aussi sur son entourage. Germe alors l’idée de produire un roman. Inspiré par son vécu, tout en intégrant des éléments fictifs, Même pas morte est une sorte de rebuffade, un pied-de-nez à une violence qui aurait pu l’engloutir.

Bien que plantée dans un décor différent, l’action se déroule comme le reflet difforme de ce qui s’est réellement produit.

Steph, l’alter ego de l’autrice, refuse de demeurer enfermée dans le rôle de victime ; que ce soit avec ses proches, face au système de santé ou même devant un appareil judiciaire mal adapté. À commencer par ses actes de résilience pour surmonter son traumatisme, qui se distinguent nettement de ceux de sa mère. Cette dernière ayant trainé pendant de longues années ce fardeau seule, ne cherchant pas à tendre la main pour s’en départir.

« Steph ne rentre pas dans les cases. Je voulais démontrer que les victimes ne sont pas toutes pareilles ; qu’elles ne sont pas toujours comme on les attend au détour. Un traumatisme, ça peut émerger n’importe quand et n’importe comment », fait remarquer Geneviève Rioux. Elle ajoute que le fait que les deux agressions se passent à des époques distinctes sont des facteurs qui contribuent à la hardiesse de Steph pour se ressaisir.

« Dans les années ’90, il y avait encore beaucoup de tabous, des choses qui n’étaient pas nommées et les enquêtes n’étaient pas traitées de la même façon qu’aujourd’hui. Et surtout, on ne donnait pas la même crédibilité aux victimes. »

Ce premier roman explore aussi le cercle de personnes évoluant autour du personnage central. La famille, les amis, les bons samaritains sont eux aussi affectés par l’événement et ses suites. Que ce soit par le sentiment d’impuissance d’un père à l’annonce d’une telle nouvelle ; l’effacement d’une sœur qui se cantonne au rôle d’observatrice ou l’incompréhension d’amis proches malgré leur compassion sincère.

TROUVER ALLIÉS ET JUSTICE

La prémisse de l’histoire se transforme inévitablement en une enquête policière, afin de découvrir qui aurait bien pu commettre des gestes aussi abjectes. Comme dans la grande majorité des cas, on présume que la victime connait son agresseur. Les soupçons se tournent alors vers les hommes qui gravitent autours de Steph.

« Il y a quand même un désir de dénoncer la violence faite aux femmes, mais il y a aussi l’expérience plus universelle d’être une victime. Je voulais jouer dans une zone où c’est complexe d’être agressé par quelqu’un qu’on aime. Ce n’est pas une attaque contre les hommes ; Steph a des alliés masculins qui sont là tout au long du livre », rappelle Mme Rioux.

Elle dit espérer que cet aspect va décristalliser le jugement auquel fait face une victime de violence conjugale. « Se rapporter à une construction de l’agresseur qui est souvent monstrueuse, c’est se priver d’une partie de soi. Ce que Steph a vécu avant l’événement, c’était beau et c’était vrai. »

Malgré les failles d’un système de justice qui n’arrive pas souvent à ses fins, faute de preuves, Geneviève Rioux croit que l’espoir réside dans l’accompagnement et le soutien que recevra la personne. Elle appuie d’ailleurs le mécanisme de justice réparatrice pour celle qui a besoin d’aller plus loin dans le processus de guérison.

« Qu’il y ait condamnation ou pas, il existe pleins de façons pour la victime de reprendre du pouvoir sur sa vie. Il y a toujours de la lumière dans un événement dramatique quand on décide de garder les bras ouverts pour accueillir ce qui vient vers soi », conclut celle qui a su trouver cette lumière.

Même pas morte de Geneviève Rioux, Éditions Stanké