Une page sombre de notre histoire racontée

HISTOIRE. Un pan méconnu de l’histoire locale sera le sujet d’une conférence présentée dans le cadre de la Semaine de l’Éducation sur l’Holocauste. Le Centre de ressources pour l’étude des Cantons-de-l’Est, la Bibliothèque de Lennoxville, la Société d’histoire et de musée de Lennoxville-Ascot et le Musée d’histoire de Sherbrooke, offrent aux citoyens l’occasion de découvrir le récit d’un survivant du camp N.

N ; cette seule lettre était utilisée pour désigner le camp de réfugiés juifs et de prisonniers de guerre, surtout des marins allemands, situé sur l’actuel site de l’Établissement de détention de Sherbrooke.

L’existence même de cet épisode semble avoir été occultée dans les livres d’histoire, chose que le conférencier et ancien rédacteur en chef du magazine Canadian Geographic, Ian Darragh veut faire (re)découvrir.

L’homme est aujourd’hui éditeur aux Presses de l’Université McGill/Queens. Il a dernièrement travaillé sur l’ouvrage : Blatant Injustice : The Story of a Jewish Refugee from Nazi Germany Imprisoned in Britain and Canada during World War II, par l’auteur et survivant du camp de Sherbrooke, Walter W. Igersheimer.

Le livre raconte comment des juifs d’origine allemande ont été détenus de façon arbitraire par les gouvernements canadien et britannique lors de la deuxième grande guerre, sous prétexte qu’ils étaient soupçonnés d’être des espions.

DES -CONDITIONS -MISÉRABLES

En plus d’avoir à côtoyer de réels collaborateurs du régime nazi, ces « réfugiés » ont été traités avec hostilité et utilisés en tant que main d’œuvre bon marché. Les conditions de détention étaient très difficiles et souvent inadéquates, selon ce que décrit les témoignages de survivants.

« Le N est en référence à un ancien dépôt du chemin de fer de la Quebec -Central Railway appelé Newington Yard, explique M. Darragh. Ce camp a été ouvert le 15 octobre 1940. Quand les réfugiés juifs y sont arrivés, il y avait des barbelés et des tours avec des gardes armés, seulement une source d’eau potable et six toilettes pour 800 prisonniers. »

Il ajoute qu’à l’époque, les bâtiments (garages et entrepôts) existants n’avaient pas été adaptés pour héberger des masses de gens. La salubrité et le confort étaient totalement absents en plus de la malnutrition et de la violence subie au quotidien.

« Certains réfugiés étaient des survivants de la Shoah et avaient peur de mourir de faim. Alors ils cachaient des bouts de pain sous leur lit. Si on trouvait de la nourriture lors d’une inspection, ils étaient tout de suite mis en isolement solitaire pour les punir », raconte le conférencier.

En décembre 1942, l’Armée canadienne a décidé que l’endroit serait converti pour la détention de prisonniers de guerre. Plusieurs réfugiés juifs ont peu à peu été transférés au Fort Lennox de l’Île-aux-Noix, situé sur la rivière Richelieu, où malheureusement, leurs conditions de vie ne ce sont pas améliorées.

Ceux qui sont demeurés à Sherbrooke ont été contraints de vivre aux côtés de prisonniers nazis, hostiles et méprisants à leur égard. La cohabitation leur faisant revivre leurs traumatismes subis en Europe. Nombre d’entre eux n’ont jamais compris ou accepté le sort qui leur avait été réservé.

« -Plusieurs de ces personnes étaient des intellectuels, des professionnels et des artistes qui s’opposaient au régime de Hitler. L’exemple de M. Igersheimer est d’autant plus fâchant puisqu’il était un médecin et qu’il voulait se battre pour les alliés. Il s’est vraiment senti trahi par des gouvernements qui disaient respecter les droits humains et l’état de droit », rapporte M. Darragh.

Malheureusement, comme plusieurs autres juifs du camp, il a été libéré seulement à sa fermeture en 1946.

UNE OCCASION D’APPRENDRE

La résilience dont plusieurs d’entre eux ont fait preuve est remarquable et c’est avec cette idée en tête qu’Ian Darragh a entrepris d’éduquer les gens sur cette partie importante de notre histoire locale.

« Mon but est de faire comprendre aux gens qu’il faut toujours respecter les lois et qu’en temps de guerre, le respect des droits humains est ce qu’il y a de plus important. C’est plus facile d’emprisonner quelqu’un que de le libérer », souligne ce dernier.

De nombreux internés ont fait leur marque dans la société canadienne par la suite. Certains ont été honorés par l’Ordre du Canada et d’autres ont reçu des distinctions prestigieuses, dont Walter Kohn, lauréat du Prix Nobel de chimie en 1998.

« Je pense qu’il y a beaucoup de leçons à tirer pour nos dirigeants politiques d’aujourd’hui et je trouve qu’il y a une peur que certains essaient d’installer envers les gens qui ont une origine ou une couleur de peau différente. Mon message est que nous sommes tous des humains et qu’il faut trouver des façons positives et constructives d’accueillir des réfugiés », conclut Ian Darragh.

La conférence se tiendra le 6 novembre, 19h, à l’Église Hope Community, 102 rue Queen, de l’arrondissement Lennoxville. L’entrée est gratuite.